Lorsque j'avais lu ce roman de Philip K Dick il y a longtemps , je m'étais dit que finalement nous avions tous une telle machine dans notre salon : il s'agissait en fait du téleviseur, sur l'écran duquel nous étions persuadés de voir une image, alors qu'il n'y avait en réalité qu'un spot lumineux, suivi d'une trainée lumineuse s'atténuant progressivement sur la longueur d'une ligne au plus. Autrement dit "c'était tout dans la tête".
Il était tentant d'étendre cette façon de voir au cinéma, dont on dit souvent qu'il "crée l'illusion du mouvement". Cependant cette dernière affirmation est fausse et procède d'un malentendu : l'idée (très intuitive au demeurant) selon laquelle, en passant du mouvement continu à une séquence d'images fixes, on a perdu énormément d'information, et qu'il faut la reconstituer comme on peut par interpolation approximative, le seul maillon de la chaine pouvant jouer ce rôle étant à priori le système visuel humain (SVH).
D'où l'explication par la persistance rétinienne (qui ne marche pas) ou par un hypothétique "effet phi" (qui n'explique pas grand chose).
Les racines de cette approche remontaient tout de même à la fin du dix neuvième siècle. Et puis, la théorie de l'échantillonnage est venue, et comme souvent en physique moderne, les équations ont montré que l'intuition avait tort.
On a alors réalisé que, sous certaines conditions raisonnables, on pouvait décrire complètement un signal continu par une suite d'échantillons pris sur le signal, et que cela se faisait sans aucune perte d'information. Il ne s'agit donc pas du tout d'une approximation, Entre la courbe continue et la courbe en pointillé constituée par les échantillons, c'est la même information mise sous deux formes différentes. Une autre façon de le dire est que l'information contenue dans le nombre de points infini de la portion de courbe qui joint deux échantillons est redondante et que la courbe peut être entièrement reconstituée à partir des échantillons (par une somme de sinus cardinaux).
Sous cet angle, au cinéma le mouvement représente le signal continu, et la séquence d'images fixes qui se succèdent au long de la pellicule est la suite d'échantillons. On peut alors retrouver complètement le mouvement d'origine en inversant l'opération d'échantillonnage. Un moyen simple de le faire est d'utiliser un bloqueur d'ordre zéro, dont l'action est d'afficher et de maintenir l'échantillon pendant une période d'échantillonnage, puis de faire la même chose sur l'échantillon suivant et ainsi de suite. Or c'est précisément ce que fait un projecteur de cinéma, avec un petit trou noir durant le passage d'une image à l'autre, qui est bouché par la persistance rétinienne (elle conserve donc ce petit rôle secondaire, mais pas celui de l'obtention du mouvement).
De cette façon, le cinéma ne crée pas l'illusion du mouvement, mais capture et restitue le mouvement réel. Le SVH y réagit donc comme il le ferait en face d'un objet réél, sans avoir besoin de fonctionnalités spécifiques (dont on ne voit pas pourquoi l'évolution nous en aurait doté).
Cependant, il est clair que la théorie de l'échantillonnage est appliquée de façon malpropre, ce qui amène des distorsions.
La condition de la théorie est que l'échantillonage se fasse à deux fois la fréquence maximale contenue dans le signal. Il y a deux façons d'arriver à ce résultat : soit le signal est naturellement limité en fréquence, soit on impose cette limitation par un filtre. On ne sait malheureusement pas réaliser un tel filtre pour le cinéma, malgré une tentative controversée de la société Tessive (https://www.sportsvideo.org/2012/03/17/ ... me-filter/ , en anglais). On est donc obligé de faire avec la palette de mouvements existants dans une scène réelle, qui peut aller du déplacement de l'aiguille des heures sur un cadran d'horloge au passage d'une balle de fusil. Les objets en mouvement impliquant des harmoniques significatives au delà de 12 Hz, fréquence limite autorisée par un échantillonage à 24 images par seconde, seront donc dégradés. Cela a été le travail des pionniers que de trouver une cadence d'image permettant d'obtenir un rendu de qualité suffisante pour la majorité des mouvements observés dans la vie quotidienne.
Au fil du temps les réalisateurs ont appris à éviter au maximum de se retrouver dans les cas critiques, et les spectateurs à tolérer les imperfections (roues de véhicules tournant en sens inverse de la marche, par exemple). A noter que l'oeil humain lui-même n'est pas capable de traiter le mouvement au delà d'une certaine vitesse, encore faudrait-il que la dégradation obtenue au cinéma soit la même que celle que l'on percevrait en situation réelle, ce qui n'est pas toujours le cas (les roues trop rapides devraient donner une sensation de flou, par exemple).
Autre défaut: la durée assez longue de l'exposition d'une image, alors que la théorie prévoit des échantillons instantanés. C'est vrai pour toute application pratique de la théorie, puisque pendant un temps nul le signal ne fournit qu'une énergie nulle, ce qui ne permet pas de faire une mesure. On sait cependant qu'une durée non nulle est équivalente à un filtrage du signal par une courbe en sinus cardinal dans le domaine fréquentiel. En numérique on peut en principe le compenser (mais pas en argentique). Un filtrage identique est introduit par le bloqueur d'ordre zéro, là aussi en principle compensable dans le domaine numérique.
Il manque également un filtre passe bas (temporel) après le projecteur. La lenteur du SVH peut jouer un rôle dans ce sens mais cela reste imparfait (par contre la réponse en sinus cardinal du bloqueur aide à éliminer les hautes fréquences résiduelles de l'échantillonnage).
On voit donc qu'il y a encore une belle marge de progression pour améliorer la qualité : un axe possible est l'augmentation de la cadence d'image. Edison préconisait initialement le 48 i/s : il avait anticipé le "Hobbit" de Peter Jackson . Certains envisagent jusqu'à 300 i/s, mais encore faut-il que la sensibilité des capteurs suive, car cela fait moins de lumière disponible pour chaque image.
Il semblerait toutefois que la persistence rétinienne retrouve un rôle plus important avec les projecteurs DLP, car la luminosité d'un point est obtenue par une modulation de largeur d'impulsion que l'oeil doit intégrer sur une certaine durée.