Les machines à illusions

Différents standards (PAL, SECAM, NTSC), histoire et évolution de la TV analogique...

Les machines à illusions

Messagepar mutantape » 20 Jan 2019 15:36

Lorsque j'avais lu ce roman de Philip K Dick il y a longtemps , je m'étais dit que finalement nous avions tous une telle machine dans notre salon : il s'agissait en fait du téleviseur, sur l'écran duquel nous étions persuadés de voir une image, alors qu'il n'y avait en réalité qu'un spot lumineux, suivi d'une trainée lumineuse s'atténuant progressivement sur la longueur d'une ligne au plus. Autrement dit "c'était tout dans la tête".

Il était tentant d'étendre cette façon de voir au cinéma, dont on dit souvent qu'il "crée l'illusion du mouvement". Cependant cette dernière affirmation est fausse et procède d'un malentendu : l'idée (très intuitive au demeurant) selon laquelle, en passant du mouvement continu à une séquence d'images fixes, on a perdu énormément d'information, et qu'il faut la reconstituer comme on peut par interpolation approximative, le seul maillon de la chaine pouvant jouer ce rôle étant à priori le système visuel humain (SVH).
D'où l'explication par la persistance rétinienne (qui ne marche pas) ou par un hypothétique "effet phi" (qui n'explique pas grand chose).

Les racines de cette approche remontaient tout de même à la fin du dix neuvième siècle. Et puis, la théorie de l'échantillonnage est venue, et comme souvent en physique moderne, les équations ont montré que l'intuition avait tort.

On a alors réalisé que, sous certaines conditions raisonnables, on pouvait décrire complètement un signal continu par une suite d'échantillons pris sur le signal, et que cela se faisait sans aucune perte d'information. Il ne s'agit donc pas du tout d'une approximation, Entre la courbe continue et la courbe en pointillé constituée par les échantillons, c'est la même information mise sous deux formes différentes. Une autre façon de le dire est que l'information contenue dans le nombre de points infini de la portion de courbe qui joint deux échantillons est redondante et que la courbe peut être entièrement reconstituée à partir des échantillons (par une somme de sinus cardinaux).

Sous cet angle, au cinéma le mouvement représente le signal continu, et la séquence d'images fixes qui se succèdent au long de la pellicule est la suite d'échantillons. On peut alors retrouver complètement le mouvement d'origine en inversant l'opération d'échantillonnage. Un moyen simple de le faire est d'utiliser un bloqueur d'ordre zéro, dont l'action est d'afficher et de maintenir l'échantillon pendant une période d'échantillonnage, puis de faire la même chose sur l'échantillon suivant et ainsi de suite. Or c'est précisément ce que fait un projecteur de cinéma, avec un petit trou noir durant le passage d'une image à l'autre, qui est bouché par la persistance rétinienne (elle conserve donc ce petit rôle secondaire, mais pas celui de l'obtention du mouvement).

De cette façon, le cinéma ne crée pas l'illusion du mouvement, mais capture et restitue le mouvement réel. Le SVH y réagit donc comme il le ferait en face d'un objet réél, sans avoir besoin de fonctionnalités spécifiques (dont on ne voit pas pourquoi l'évolution nous en aurait doté).

Cependant, il est clair que la théorie de l'échantillonnage est appliquée de façon malpropre, ce qui amène des distorsions.

La condition de la théorie est que l'échantillonage se fasse à deux fois la fréquence maximale contenue dans le signal. Il y a deux façons d'arriver à ce résultat : soit le signal est naturellement limité en fréquence, soit on impose cette limitation par un filtre. On ne sait malheureusement pas réaliser un tel filtre pour le cinéma, malgré une tentative controversée de la société Tessive (https://www.sportsvideo.org/2012/03/17/ ... me-filter/ , en anglais). On est donc obligé de faire avec la palette de mouvements existants dans une scène réelle, qui peut aller du déplacement de l'aiguille des heures sur un cadran d'horloge au passage d'une balle de fusil. Les objets en mouvement impliquant des harmoniques significatives au delà de 12 Hz, fréquence limite autorisée par un échantillonage à 24 images par seconde, seront donc dégradés. Cela a été le travail des pionniers que de trouver une cadence d'image permettant d'obtenir un rendu de qualité suffisante pour la majorité des mouvements observés dans la vie quotidienne.

Au fil du temps les réalisateurs ont appris à éviter au maximum de se retrouver dans les cas critiques, et les spectateurs à tolérer les imperfections (roues de véhicules tournant en sens inverse de la marche, par exemple). A noter que l'oeil humain lui-même n'est pas capable de traiter le mouvement au delà d'une certaine vitesse, encore faudrait-il que la dégradation obtenue au cinéma soit la même que celle que l'on percevrait en situation réelle, ce qui n'est pas toujours le cas (les roues trop rapides devraient donner une sensation de flou, par exemple).

Autre défaut: la durée assez longue de l'exposition d'une image, alors que la théorie prévoit des échantillons instantanés. C'est vrai pour toute application pratique de la théorie, puisque pendant un temps nul le signal ne fournit qu'une énergie nulle, ce qui ne permet pas de faire une mesure. On sait cependant qu'une durée non nulle est équivalente à un filtrage du signal par une courbe en sinus cardinal dans le domaine fréquentiel. En numérique on peut en principe le compenser (mais pas en argentique). Un filtrage identique est introduit par le bloqueur d'ordre zéro, là aussi en principle compensable dans le domaine numérique.

Il manque également un filtre passe bas (temporel) après le projecteur. La lenteur du SVH peut jouer un rôle dans ce sens mais cela reste imparfait (par contre la réponse en sinus cardinal du bloqueur aide à éliminer les hautes fréquences résiduelles de l'échantillonnage).

On voit donc qu'il y a encore une belle marge de progression pour améliorer la qualité : un axe possible est l'augmentation de la cadence d'image. Edison préconisait initialement le 48 i/s : il avait anticipé le "Hobbit" de Peter Jackson :-). Certains envisagent jusqu'à 300 i/s, mais encore faut-il que la sensibilité des capteurs suive, car cela fait moins de lumière disponible pour chaque image.

Il semblerait toutefois que la persistence rétinienne retrouve un rôle plus important avec les projecteurs DLP, car la luminosité d'un point est obtenue par une modulation de largeur d'impulsion que l'oeil doit intégrer sur une certaine durée.
mutantape
Grenouille
Grenouille
 
Messages: 424
Inscription: 05 Mai 2008 00:16

Re: Les machines à illusions

Messagepar Lowtone » 23 Jan 2019 05:10

Bonjour, votre exposé est très intéressant, j'y apporterai toutefois une précision historique.

mutantape a écrit: fréquence limite autorisée par un échantillonage à 24 images par seconde, seront donc dégradés. Cela a été le travail des pionniers que de trouver une cadence d'image permettant d'obtenir un rendu de qualité suffisante pour la majorité des mouvements observés dans la vie quotidienne.


Lumière avait bien vu qu'on pouvait faire mieux, mais cela faisait un film trop court. Il a donc fixé la norme à 16 images par seconde, et ce fût la norme du cinéma muet. Même Edison s'est ravisé. Ensuite il n'y a gère que Griffith qui continuait à respecter la norme. Il y eût un temps, de la fin de la première guerre mondiale jusque vers 1930 et l'arrivée du parlant, où personne ne respectait plus la norme. Les cinéastes tournaient à une vitesse supérieure 18, 20, 22 etc. Parfois la vitesse n'était pas la même d'une séquence à l'autre. ( On n'avait pas, en ce temps là, la même idées de la fréquence fixe que nous avons aujourd'hui, la fréquence devait servir le contenu de l'image, les séquences d'action ou calmes avaient un rendu différent ). Mais ceci était aussi valable en projection.
Les films étaient tournés à une vitesse supérieure à la norme, mais projetés à une vitesse supérieure à celle du tournage. On avait vite 20, 22, 24, 26 etc. Et là aussi cela pouvait changer en fonction du contenu, et aussi du projectionniste. Le préposé à la manivelle aimait manier son projecteurs comme un instrument de musique, et interpréter la cadence du film en fonction du contenu, de son émotion personnelle et de la réaction du public etc.
Pour le film sonore, il fallait que le son soit synchrone à l'image, tout ceci a donc cessé et il fallait se mettre d'accord sur une fréquence bien précise.
On a tout simplement fait une moyenne des vitesses de projection !
Voilà comment nous nous sommes retrouvés avec 24 images par seconde.

Dans le même temps, le cinéma amateur est longtemps resté muet, et la norme était toujours de 16.
Au début des années 1960 les fabricants de caméra 8mm ont dévié un peu et proposé 18. Quand le super 8 a été créé en 1965 sa norme de base a été fixée à 18. ( Je ne parle ici que des normes, mais à côté on trouve plein d'exceptions, 9, 12, 16,66, 24, 25 etc… )
Anonymous a écrit:Demandez l'heure a quelqu'un qui regarde une chaine d'info il regarde sa montre :D
Avatar de l’utilisateur
Lowtone
Etalon
Etalon
 
Messages: 1368
Inscription: 11 Avr 2009 13:38

Re: Les machines à illusions

Messagepar mutantape » 23 Jan 2019 13:44

C'est vrai, j'ai traité de vieux films de famille, beaucoup remontant aux années 1930, et la plupart étaient en 16 i/s pour le 8 mm standard et le 9,5 mm. Par contre il me semble que le 16 mm m'avait obligé à modifier mes réglages, car il était en 18 i/s (mais là il datait des années 50). J'ai moi-même pratiqué le super8 à18 i/s, mais la caméra avait tout de même une réglage possible à 24.

Au fur et à mesure de l'augmentation de la cadence , je pense qu'on arrive d'abord à un mouvement "compréhensible", mais pas extrêmement joli (légère saccade subliminale), puis ça devient de plus en plus coulé et naturel, et plus net si le réglage d'obturation suit.

Malgré tout le mal que l'on en a dit, j'ai beaucoup apprécié le 48 i/s du premier "Hobbit" (en particulier sur le plongeon initial du dragon dans le puits de mine à Erebor, mais pas que).

Maintenant je filme en 1080p50, c'est très correct à condition de bien gérer l'obturateur (on retrouve une impression de saccade s'il est trop rapide, ou alors il faut passer par un téléviseur 100 Hz).
mutantape
Grenouille
Grenouille
 
Messages: 424
Inscription: 05 Mai 2008 00:16

Re: Les machines à illusions

Messagepar Lowtone » 27 Jan 2019 03:36

Pour les formats cinéma on pouvait effectivement faire du 24, l'option existait pour le sonore, à la base. Après on pouvait mettre une pellicule muette à 24 sans problème, je l'ai fait en super 8 cette année.
On pouvait aussi mettre une pellicule sonore à 18, mais c'est vrai que c'était moins bon. J'ai connu quelqu'un qui faisait ça, sur une caméra sonore mais avec 18 pour seule vitesse.

Je suis tout à fait favorable au 50p.
Ce sont les idéologues qui vénèrent le 24p. Ils pensent que c'est l'alpha et l'oméga du cinéma et qu'on devrait se limiter à cela. Ils ne savent même pas que c'est, comme je l'expliquais, un simple compromis qui a été trouvé par rapport à des gens qui ne respectaient pas l'ancienne norme ( elle-même choisie pour des raisons économiques ). Dit comme ça c'est ridicule, mais vous avez des gens qui font de la vidéo à 24. On en trouve même sur les sites de journaux régionaux etc…

Vers 2005 j'étais dans une association de vidéastes ( dont je suis parti assez rapidement ). Il y en a un qui se prenait vraiment pour monsieur cinéma. Il avait même son émission sur une chaîne de télé locale, dans laquelle il déballait sa logorrhée sur les nouveaux films qui sont forcément tous des chefs d'œuvre. Il m'a expliqué sa technique. Il tournait en miniDV, donc à 50i. Le montage était fait sur ordinateur. Déjà il rajoutait des bandes noires pour faire du 16/9ème. Alors la définition n'est que de 576 lignes, et il perds 144 lignes avec du noir. En plus de ça il ne sait pas que le 16/9ème n'est qu'un compromis entre le Cinémascope et le 4/3. Mais en plus de ça, il ralentissait l'image de chaque plan «de 98%» afin de faire un rendu cinéma et imiter le 24p.
Je lui ait conseillé d'ajouter de la poussière et des rayures, on peut, pour le moins, dire qu'il n'a pas apprécié.

Pour ma part j'essaie de filmer au maximum des capacités des appareils. Le super 8 est encore à 24p mais j'essaierai de trouver une caméra à 25. Le numérique est à 25, mais je compte revendre ma caméra pour acheter la nouvelle version qui fait 50p. Enfin pour l'analogique j'ai du 50i et quand je numérise, je le transforme en 50p. Je reste à 50 et ses multiples, c'est la base, la norme de diffusion télé, et c'est basé sur la fréquence du courant alternatif.

J'ajoute que pour le cinéma numérique on peut se passer du 24p car l'AFNOR a obligé les cinémas à adapter leur matériel pour être compatible avec le 25p, du moins dans les cas où c'était techniquement possible. Donc il n'y a plus aucune raison de faire du 24. Et puis le 25 aura le même rendu sans qu'on s'en rende compte.

Par contre je n'apprécie pas que les logiciels de montage fassent fi des anciennes normes 16 et 18p. Cela est important pour les restaurateurs de films muets, ou, comme vous le faites, les films amateurs.
Anonymous a écrit:Demandez l'heure a quelqu'un qui regarde une chaine d'info il regarde sa montre :D
Avatar de l’utilisateur
Lowtone
Etalon
Etalon
 
Messages: 1368
Inscription: 11 Avr 2009 13:38

Re: Les machines à illusions

Messagepar jeanphi73 » 27 Jan 2019 17:08

Bonjour,
dans les films de cinéma tournés en 24p, comment se débrouillent-ils pour filmer un téléviseur 50 hertz (Europe) ou 59,94 hertz (Amériques), sans que l'ont voit de papillotement lors du rendu final ?
DVB-T (TNT) Chambéry 1 Dent du Chat.
DAB+ 12A La Dôle.
jeanphi73
Hippo
Hippo
 
Messages: 4115
Inscription: 27 Juin 2005 22:07
Localisation: Rhône-Alpes

Re: Les machines à illusions

Messagepar mutantape » 28 Jan 2019 13:24

A mon avis , soit on laisse papilloter, soit on fait tourner la caméra de cinéma à 25 i/s le temps de la scène (mais il faut synchroniser), et on ralentit à 24 après, soit on ralentit la TV à 24p, la plupart des écrans plats actuels savent le faire, pour des téléviseurs cathodiques c'est sans doute plus délicat, il est plus facile de passer à une cadence supérieure (utiliser des 50 Hz européens pour passer le 30 Hz américain) que l'inverse.

Il me semble qu'il y avait des caméras numériques amateur qui était capable de se synchroniser sur un CRT, peut être le matériel pro le fait-il aussi. On pourrait insérer une telle séquence prise en HD dans un film même argentique.

Une autre possibilité de faire un faux téléviseur qui est en fait un rétroprojecteur cinéma, ou alors de superposer au montage une séquence filmée en 24p sur l'écran du téléviseur.

Mais par contre à filmer en argentique un écran de télé, on retrouve tous les soucis du kinescope, en particulier le fait que le retour du spot est trop rapide par rapport au changement mécanique de l'image dans la caméra.
Dernière édition par mutantape le 29 Jan 2019 12:59, édité 1 fois.
mutantape
Grenouille
Grenouille
 
Messages: 424
Inscription: 05 Mai 2008 00:16

Re: Les machines à illusions

Messagepar Marc2 » 29 Jan 2019 11:22

Lowtone a écrit:Pour ma part j'essaie de filmer au maximum des capacités des appareils. Le super 8 est encore à 24p mais j'essaierai de trouver une caméra à 25.

J'imagine que la caméra est mue par un moteur à courant continu alimenté par une tension régulée, il doit donc suffire d'augmenter la tension de 4 % pour passer à 25 images/s. Le temps de pose sera aussi réduit de 4 % mais une telle sous-exposition ne doit pas se remarquer.
Avatar de l’utilisateur
Marc2
Etalon
Etalon
 
Messages: 1818
Inscription: 29 Oct 2007 23:45

Re: Les machines à illusions

Messagepar mutantape » 30 Jan 2019 13:02

Pour ceux qui pourraient s'en étonner, je tiens à préciser que toute ressemblance de mon texte initial avec une explication déjà présente sous Wikipédia serait plus qu'une simple coïncidence...
mutantape
Grenouille
Grenouille
 
Messages: 424
Inscription: 05 Mai 2008 00:16

Re: Les machines à illusions

Messagepar mutantape » 30 Jan 2019 13:10

Marc2 a écrit:
Lowtone a écrit:Pour ma part j'essaie de filmer au maximum des capacités des appareils. Le super 8 est encore à 24p mais j'essaierai de trouver une caméra à 25.

J'imagine que la caméra est mue par un moteur à courant continu alimenté par une tension régulée, il doit donc suffire d'augmenter la tension de 4 % pour passer à 25 images/s. Le temps de pose sera aussi réduit de 4 % mais une telle sous-exposition ne doit pas se remarquer.


Suivant l'ancienneté de la caméra, il peut tout de même y avoir un dispositif de régulation destiné à garantir que le 24p respecte certaines tolérances, en dépit des fluctuations de tension, des dispersions de caractéristiques à la fabrication, etc.

Et puis il faudrait s'assurer que l'électronique de contrôle (par exemple l'exposition automatique) le supporte aussi, ou séparer les alimentations (mais à 4% c'est vrai que ça a de bonnes chances de passer). Et bien sûr le courant moteur augmentera un peu pour tenir un couple un peu plus élevé, nécessaire pour compenser l'augmentation de la puissance des frottements à plus haute vitesse. Donc il chauffera un peu plus.
mutantape
Grenouille
Grenouille
 
Messages: 424
Inscription: 05 Mai 2008 00:16

Re: Les machines à illusions

Messagepar Lowtone » 31 Jan 2019 15:34

Il existe des caméras où l'on trouve plusieurs options, ce sera meilleur et plus simple qu'un bricolage.
Ces caméras, à ressort ou à piles, sont bien souvent imprécises. Il ne s'agit pas exactement de reproduire la vitesse réelle d'enregistrement, mais la vitesse théorique.
Ça se corse si l'on doit monter une telle source avec une autre caméra, vidéo celle-là.
Anonymous a écrit:Demandez l'heure a quelqu'un qui regarde une chaine d'info il regarde sa montre :D
Avatar de l’utilisateur
Lowtone
Etalon
Etalon
 
Messages: 1368
Inscription: 11 Avr 2009 13:38