Pourquoi la crise s’enlise à i-Télé
Lundi, la rédaction de la chaîne d’information en continu a voté la grève pour un huitième jour, tandis que la direction a annoncé la suspension de « Morandini Live » jusqu’à la fin du conflit.
Cela a les apparences d’une concession, mais relève bien davantage d’une volonté de ne rien lâcher. Au huitième jour du conflit qui paralyse i-Télé, lundi 24 octobre, la direction de la chaîne a repris l’initiative, en envoyant un communiqué dans lequel elle annonce suspendre l’émission controversée de Jean-Marc Morandini « pour des raisons opérationnelles ».
Mais « “Morandini Live” (…) reprendra dès l’arrêt de cette grève », a-t-elle ajouté, ce qui constitue la principale information de ce texte lapidaire. Elle signifie qu’i-Télé n’entend pas remettre en cause la présence de l’animateur dans sa grille, malgré les protestations de ses journalistes, celles des annonceurs, et les errements éditoriaux constatés lors des premières diffusions de l’émission.
Voici donc les grévistes d’i-Télé renseignés quant à l’une de leurs revendications, à savoir la « mise en retrait de l’antenne de Jean-Marc Morandini » compte tenu de sa situation judiciaire (l’animateur a été mis en examen pour corruption de mineurs et corruption de mineurs aggravée). Un retrait pérenne n’est pas envisagé. Ceux qui cesseront la grève accepteront de fait de travailler aux côtés de M. Morandini. Les autres n’auront qu’à partir.
Pas de réponse aux revendications
Les journalistes, qui ont une nouvelle fois voté la grève, lundi matin, à une très large majorité (près de 86 %), demandent également la signature d’une charte éthique, la nomination d’un directeur de la rédaction distinct du directeur de la chaîne (Serge Nedjar cumule actuellement les deux postes) et la définition d’un projet éditorial clair. Selon nos informations, ils n’avaient eu aucune réponse sur ces trois points, lundi après-midi.
Quel était l’objectif de ce communiqué ? S’agissait-il de tenter un coup de com' en donnant l’impression de faire un pas ? Ou, plus prosaïquement, d’arrêter les frais en suspendant la diffusion d’une émission désertée par les annonceurs et isolée au sein d’une grille morte ? Dans son communiqué, i-Télé a également confirmé reporter le déploiement de son nouvel habillage, aux couleurs de CNews, le nouveau nom de la chaîne, qui aurait dû être mis en place ce lundi.
Un dialogue de sourds
Quoi qu’il en soit, ce message illustre parfaitement le dialogue de sourds qui bloque la chaîne depuis le printemps et que la crise actuelle révèle au grand jour. « Ça n’avance pas », a décrit le président de la Société des journalistes, Antoine Genton, lundi matin sur Europe 1. Tout en se disant encore « prêt au dialogue », il a expliqué qu’il n’identifiait, à ce stade, « aucune porte de sortie ».
Plusieurs rencontres se sont tenues, la semaine dernière, entre les représentants des salariés et la direction de la chaîne (Virginie Chomicki et Serge Nedjar), celle de Canal+ (Maxime Saada) et même de Vivendi (Stéphane Roussel). Mais aucune n’a permis de réelle avancée sur les points soulevés par les grévistes, hormis quand M. Roussel a écarté une possible arrivée à l’antenne d’Eric Zemmour, après s’être vu rappeler, par un journaliste, que le polémiste faisait l’objet d’une enquête pour apologie du terrorisme.
Lors de ces réunions, plusieurs phrases ou attitudes, notamment celles de Serge Nedjar, ont donné l’impression aux journalistes que le but de la direction n’était pas d’apaiser le conflit. Le 14 octobre, le président de Canal+, Jean-Christophe Thiery, avait encouragé les mécontents à partir, en leur suggérant d’activer leur clause de conscience. L’arrivée, prévue cette semaine, de l’équipe de Direct Matin dans les locaux d’i-Télé, témoigne pour certains d’une volonté de remplacer les journalistes d’i-Télé qui partiraient par ceux du journal gratuit de Vincent Bolloré.
Les pouvoirs publics embarrassés
Comment cette crise peut-elle se dénouer ? La voie traditionnelle d’une négociation avec les syndicats semble abimée : les élus disent ne pas être informés des projets de la direction, au point que le CHSCT a saisi le tribunal de Nanterre, la semaine dernière, sur les conditions dans lesquelles le déménagement de certains bureaux a été organisé. Le projet de « News Factory », qui désigne le rapprochement entre i-Télé et Direct Matin, n’a lui fait l’objet d’aucune communication détaillée au comité d’entreprise, selon un élu du syndicat + Libres.
Vendredi, les journalistes ont appelé à une médiation sous l’égide du ministère de la culture, comme cela avait été le cas lors du conflit qui a paralysé Radio France en 2015. Le ministère, qui n’a pas été formellement saisi, est toutefois dans l’embarras. À la différence de Radio France, pour laquelle la ministre Fleur Pellerin était allée jusqu’à convoquer le PDG Mathieu Gallet, il s’agit cette fois d’une entreprise privée. En période préélectorale, les interventions du gouvernement dans le secteur de l’information sont scrutées. La probabilité de voir le gouvernement aller au-delà du message de soutien adressé par Audrey Azoulay, vendredi, est donc réduite.
Reste le CSA, qui est allé assez loin dans son communiqué de jeudi, en dénonçant le fait qu’on mette en péril l’avenir de la chaîne. Celui-ci est compétent sur la question de la charte éthique comme sur celui de l’absence de distinction entre direction et direction de la rédaction. Mais il n’est pas encore certain que la double casquette de M. Nedjar, décrite par Canal+ comme provisoire, enfreigne la convention signée entre la chaîne et le CSA, qui, lui non plus, n’a pas été formellement saisi.
La situation s’apparente donc à une épreuve de force entre deux parties qui attendent que l’autre cède. Pendant ce temps, sur les écrans continuent de se succéder des reportages d’archives et cette antenne factice est peu à peu abandonnée par les téléspectateurs : l’audience est tombée aux alentours de 0,5 % de part. i-Télé est aujourd’hui moribonde.