Le ton se durcit entre les salariés de LCI et TF1
Ils se sont rendus au Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’abord le 17 septembre, pour discuter avec les Sages, puis le 2 octobre, pancartes à la main, pour clamer derrière un cordon de CRS : « LCI en gratuit, c’est notre survie ! » Mais l’autorité indépendante leur a rappelé qu’elle ne pouvait pas revenir sur sa décision, rendue fin juillet, de ne pas autoriser le passage en gratuit de la chaîne d’information en continu du groupe TF1.
Ils ont écrit à François Hollande, puis à tous les parlementaires. Le président leur a poliment répondu, lundi 13 octobre, que l’exécutif ne pouvait pas agir dans ce dossier, mais qu’il souhaitait que « tout soit fait pour préserver l’outil que représente LCI ». Interpellé le lendemain à l’Assemblée nationale, le porte-parole du gouvernement, Jean-Marie Le Guen, a répondu que « le gouvernement était particulièrement préoccupé par la perspective évoquée de la suppression de LCI » et demandé « que TF1 examine véritablement toutes les solutions de reprise ».
S’ils savent que les politiques ne peuvent pas aller plus loin, sous peine de bafouer l’indépendance du CSA, les salariés de LCI (247 collaborateurs) basculent peu à peu dans le découragement. « C’est sans issue, commente avec amertume Guillaume Deblé, rédacteur en chef adjoint de la chaîne info. Chaque partie a l’impression d’avoir fait tout son possible, mais rien ne se passe. »
LE PLAN DE SAUVEGARDE DE L’EMPLOI SUSPENDU
Certes, il reste le recours déposé par TF1 devant le Conseil d’État, qui doit être examiné, mardi 21 octobre. Saisie en référé, la juridiction pourrait rendre sa décision dans les trois jours. Mais en interne, ils sont peu à croire à une suspension de la décision du CSA, tant l’autorité a « bordé » sa décision. Même la direction, qui ne communique pas officiellement sur cette instance, s’est montrée très prudente dans ses prises de parole internes sur le sujet.
Ce recours a amené la direction à suspendre la négociation du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) portant sur 148 postes, comme l’avaient demandé les syndicats. Elle doit désormais s’achever au 19 décembre. Mais s’il fait gagner du temps, ce report a aussi eu pour effet d’augmenter l’exaspération des salariés, qui redoutent un enlisement. « Cette attente devient très difficile car les gens ne voient pas le bout », explique un rédacteur.
Le 9 octobre, une réunion générale s’est tenue dans une atmosphère inhabituellement agressive. Selon des témoignages, plusieurs salariés, les larmes aux yeux, ont mis en cause la direction, dont le projet de nouvelle LCI, centrée sur le débat et diffusée uniquement sur les réseaux numériques, n’a pas convaincu.
« COQUILLE VIDE »
Une semaine plus tard, la CFTC, le syndicat majoritaire chez TF1, a rué dans les brancards en diffusant un tract qualifiant ce projet de « fantôme ». Officiellement, un groupe de travail est encore à l’œuvre dans le but d’améliorer le projet. Mais selon la CTFC, le projet n’est plus qu’une « coquille vide » : les rediffusions sur LCI de contenus issus de TF1 se heurteraient à des problèmes de droits, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), clients potentiels, ne seraient pas intéressés… Dans ce contexte, la suspension des travaux du groupe de travail pour des raisons de vacances scolaires a mis le feu aux poudres.
TF1 répète que « les discussions se poursuivent » avec les fournisseurs, même si « certains n’ont pas répondu dans les délais ». Des fournisseurs d’accès Internet contactés par Le Monde se montrent moins affirmatifs. Si l’un d’eux confirme que TF1 a multiplié les approches, il admet « ne pas se bousculer pour les aider ». Un autre évoque un « vague projet », « sans intérêt », et assure que la chaîne « n’a jamais relancé ». Des préventions qui font écho à celles exprimées en interne. Le 29 septembre, 132 salariés avaient rejeté ce projet lors d’un vote. Et dix-huit commentateurs, qui se sont baptisés les « sans-nous », ont déclaré préférer partir plutôt que de participer à cette aventure.
Des salariés déterminés à « ne pas mourir en silence »
Certains en sont venus à manifester leur préférence pour une fermeture pure et simple de la chaîne. « Une fermeture obligerait TF1 à examiner les offres de reprise et mettrait i-télé, BFM et Le Monde devant leurs responsabilités », décrypte un représentant. En juillet, les deux chaînes d’information s’étaient en effet engagées à reprendre chacune une trentaine de salariés de LCI en cas de fermeture de la chaîne. Mais elles s’estiment aujourd’hui libérées de cet engagement, puisque TF1 a opté pour une poursuite d’activité. Du côté des actionnaires du Monde, une offre de reprise a été formellement adressée à TF1 il y a une quinzaine de jours. Elle serait restée pour le moment sans réponse.
Vendredi, invité de BFM, Louis Dreyfus, président du directoire du Monde et représentant des actionnaires, a indiqué que « ce matin [vendredi] les actionnaires du journal ont adressé un nouveau courrier à Nonce Paolini [le patron de TF1] pour confirmer formellement leur intérêt à ouvrir une vraie discussion et reprendre cette chaîne ».
« Tous ceux qui se sont mobilisés depuis deux mois autour de LCI, méritent que cette chaîne continue d'exister et les actionnaires du Monde sont très mobilisés autour de ce projet », a-t-il ajouté.
En interne, certains craignent un durcissement. Si le Conseil d’État valide la décision du CSA, les recours externes auront été épuisés, laissant face-à-face la direction du groupe et des salariés déterminés à « ne pas mourir en silence », selon l’un d’eux. « Notre déception est à la mesure de l’ADN du groupe TF1, qui nous a toujours habitués à sortir un lapin du chapeau », résume un journaliste.