LE CERCLE. (par Pierre Bellanger et Sylvain Anichini)
- En 2009, nous dénoncions l’impasse de la radio numérique terrestre imaginée par l’administration : un réseau numérique dédié uniquement à la radio, fermé et, de fait, isolé d’Internet. Une telle initiative était vouée à l’échec. Notre point de vue a fini par prévaloir, ralliant les principaux acteurs du marché, jusqu’à convaincre les pouvoirs publics
Ainsi donc, le réseau de diffusion numérique terrestre uniquement capable de diffuser de la radio (RNT) semble abandonné, comme l’avait été, il y a un an, le projet d’un réseau de diffusion destiné à la seule télévision mobile (TMP) et ce pour les mêmes raisons. En effet, aujourd’hui, où il n’est question que d’économies, de rationalisation et d’écologie, ces deux projets coûteux de duplication numérique de la FM et de la TNT multipliaient les pylônes et la consommation électrique tout en se tenant à l’écart du moteur de croissance formidable que constitue Internet.
Car l’écosystème Internet, universel, conversationnel et coopératif, devient le cœur de nos réseaux de télécommunications, de nos médias, de nos transactions et de nos échanges. Les terminaux mobiles intelligents mettent l’Internet dans notre poche et la valeur ajoutée du réseau intègre chaque jour plus nos métiers et nos vies.
Le monde Internet est un monde en réseau. Nos radios et télévisions, aujourd’hui isolées, communiqueront demain en réseau en conjuguant leurs contenus : par exemple, un programme débuté sur un récepteur sera disponible sur tous, et repris sur chacun là où l’on l’avait arrêté.
La radio, elle-même, participe donc à cette mutation et devient à son tour la radio IP (Internet Protocol) : de plus en plus écoutée par le réseau et s’invitant sur tous les terminaux dotés d’une capacité sonore. La radio IP transforme la bande FM actuelle, qui n’offre en chaque lieu que quelques dizaines de programmes, en une nouvelle bande de fréquence infinie. Et la personnalité de la radio trouve bien sa place au côté des services musicaux à la carte qui se développent parallèlement sur le Net.
Cette évolution s’accompagne d’un nouveau modèle économique : deux auditeurs distincts, reconnus par leur adresse IP, pourront écouter le même programme mais entendre des publicités différentes, et ce en fonction de leur profil et de leur géolocalisation. C’est la précision de l’Internet mariée à l’omniprésence de la radio.
C’est ici qu’intervient une nouvelle révolution : l’Internet radiodiffusé ou « IP Broadcast », pour faire plus chic. Cette technologie permet à la radiodiffusion d’intégrer le monde Internet en y apportant des avantages majeurs non seulement pour la radio mais pour tout l’écosystème des médias et des télécommunications.
Expliquons nous : aujourd’hui sur Internet, si vous souhaitez écouter une radio, votre terminal envoie une requête par un réseau de télécommunications jusqu’à un serveur qui vous livre en retour, par ce réseau, un flux unique qui vous sera dédié. À chaque auditeur correspond un flux ; avec les coûts en conséquence, tant pour le consommateur, que l’éditeur de programmes, sans oublier l’encombrement des réseaux de télécommunications.
Avec l’IP Broadcast, c’est un tout autre scenario : un émetteur dessert une zone de couverture pour un prix fixe indépendamment du nombre de récepteurs à l’écoute. Le prix est le même quel que soit le nombre de récepteurs à l’écoute, et la réception ne coûte rien à l’auditeur. Cette technique est maintenant disponible au protocole Internet.
Voilà concrètement comme cela fonctionne : lorsque vous souhaitez écouter une radio par Internet sur votre terminal mobile, celui-ci, avant d’envoyer la requête sur le réseau de télécommunications, va vérifier si le signal que vous recherchez n’est pas aussi disponible par voie hertzienne. S’il l’est, vous écoutez le programme de cette manière et donc à moindre coût pour vous, pour l’éditeur et vous allégez le réseau de télécommunications. Aujourd’hui déjà, les smartphones proposent automatiquement le meilleur réseau Wi-Fi ou 3G. Et, donc, cette faculté de permutation des réseaux sera naturellement intégrée par les terminaux.
Pour l’utilisateur, aucune différence entre l’écoute sur Internet et l’écoute en RNT-IP. L’interactivité est gérée en parallèle. Il en va de même pour les publicités ciblées.
L’Internet radiodiffusé change la donne. Là où la RNT était une charge supplémentaire sans récepteurs, ni avenir, la RNT au service de l’IP, ou RNT-IP, est une source d’économie pour l’ensemble des acteurs. Et, bonne nouvelle, l’IP Broadcast est aujourd’hui techniquement disponible et peut utiliser la nouvelle norme de télévision numérique.
Ainsi, à partir de la bande aujourd’hui dédiée à la radio numérique (la bande III) peut se constituer un réseau moderne de diffusion, rapide et efficace, optimisé pour la mobilité IP, national et multi-local.
Avec un flux unique pour les médias destiné à tous (radio mais aussi télévision), l’IP Broadcast réserve les réseaux de télécommunications à leur meilleur usage ; il préserve aussi mieux l’anonymat des auditeurs. Mieux encore, c’est, pour les radios et les télévisions privées ainsi que pour le service public, une sérieuse économie au vu de l’explosion des coûts de bande passante pour les médias avec l’arrivée du haut-débit mobile (la 4G) lorsque chacun consommera la radio et la télévision en mode IP.
En un mot, le réseau IP Broadcast permet de diffuser l’ensemble des médias audiovisuels de façon mutualisée sur une même bande de façon universelle vers tous les récepteurs IP. Il associe les compétences des autorités de régulation de l’audiovisuel à celles des télécommunications - un mariage qui a de l’avenir.
L’IP Broadcast est une révolution. C’est la renaissance de la radio numérique hertzienne sous la forme de la RNT-IP. La RNT-IP actualise le projet initial et l’inscrit dans l’avenir, fidèle ainsi à l’ambition du régulateur et des pouvoirs publics.
Pour notre pays, le rapprochement de l’audiovisuel radiodiffusé et des télécommunications en un système IP global et cohérent représenterait un progrès majeur. Il nous placerait sur ce sujet dans le peloton de tête des grandes nations. À la clef, des brevets, des technologies, des emplois et la fierté de ne pas suivre, mais de précéder. Nous avions pris l’habitude d’être en retard. Ne perdons pas une chance d’être en avance.
Sylvain Anichini:Consultant, ancien directeur général adjoint de Radio France
Pierre Bellanger: Fondateur et président Skyrock.
Source Les Echos http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/high-tech-medias/medias/221155309/radio-numerique-terrestre-impasse-a-renaissanc