Numéro 23 : le conseil d’Etat casse la décision du CSAC’est un camouflet sévère pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel : le Conseil d’Etat a annulé, mercredi 30 mars, la décision par laquelle l’autorité avait retiré à Numéro 23 son autorisation d’émettre. Cette sanction inédite avait été prononcée en octobre 2015 car la direction de la chaîne dédiée à la diversité était soupçonnée d’avoir voulu spéculer sur ce canal, revendu au printemps 2015 pour 90 millions d’euros alors qu’il avait été obtenu gratuitement en 2012. « L’existence de la fraude à la loi invoquée pour justifier le retrait de l’autorisation n’est pas démontrée », tranche le Conseil d’Etat.
« La chaîne a obtenu certains résultats »Pour son actionnaire principal Pascal Houzelot (également membre du conseil de surveillance du Monde), c’est une grande victoire. En effet, il avait dénoncé l’injustice de la décision du CSA, qui le privait de sa chaîne pourtant revendue quelques mois plus tôt pour 90 millions d’euros à NextRadioTV, le groupe propriétaire de BFM-TV et RMC.
« Le raisonnement du CSA, qu’il soit fondé ou pas, ne suffit de toute façon pas à démontrer que l’intéressé aurait eu pour seul objectif de réaliser une plus-value lorsqu’il a présenté sa candidature (à la fin de l’année 2011) », écrit le Conseil d’Etat dans sa décision. En effet, selon le CSA, le pacte d’actionnaire du 21 octobre 2013 révèle « l’intention de l’actionnaire principal de Diversité TV France de sortir du capital de la société dès que possible (à expiration du délai de deux ans et demi prévu par la convention du 3 juillet 2012) », rappelle le Conseil d’Etat.
Par ailleurs, le Conseil d’État relève que la société Diversité TV France « a réuni les financements nécessaires au développement de la chaîne » et que « cette chaîne a obtenu certains résultats en termes de part d’audience ». Pourtant, le CSA avait relevé certains manquements dans le respect des obligations fixées à la chaîne, par exemple sur le quota de cinéma français diffusé. Le Conseil d’Etat le reconnaît mais ajoute : « On ne saurait lui reprocher de n’avoir pas mis en œuvre les moyens nécessaires à l’exploitation du service de télévision pour la diffusion duquel elle était autorisée à utiliser une fréquence. »
Le CSA pointé du doigtLa décision est pour certains une surprise : en effet, le rapporteur public, dans ses conclusions rendues vendredi 25 mars, avait préconisé de confirmer la décision du CSA. Son avis n’a pas été suivi. Comme cela avait déjà été le cas dans le dossier du passage en gratuit de la chaîne d’information LCI, à l’été 2015.
Pour Olivier Schrameck, le président du CSA, la décision du Conseil d’Etat est un coup : lui-même issu du Conseil d’Etat et fin juriste, il voit pour la seconde fois son corps d’origine casser un de ses choix. La première fois, c’était dans le dossier LCI pour une raison de pure forme : à la surprise générale, le Conseil d’Etat avait estimé que le CSA aurait dû publier l’étude d’impact économique réalisée sur le sujet avant de rendre sa décision. Cette fois-ci, le Conseil d’Etat se place sur le fond.
« Les autorités indépendantes, ici le CSA, doivent prendre des décisions en s’appuyant sur la règle de droit et non sur l’émotion. L’accusation de fraude est extrêmement grave. Elle ne peut pas être lancée à la légère », s’est plu à réagir Me Olivier Sureau, l’avocat de Numéro 23.
Pression politiqueDepuis le début, ce dossier est effectivement très politique : dès l’annonce de la vente de la chaîne au groupe d’Alain Weill, au printemps 2015, de nombreuses voix se sont élevées contre ce qu’elles considéraient comme une « spéculation » sur le bien public que sont les fréquences audiovisuelles, attribuées gratuitement en échange du respect d’obligations. Des parlementaires de gauche comme de droite ont tempêté contre cette chaîne de la « diversité » qui diffusait pourtant des programmes de téléréalité américaine sur le tatouage...
Le parlement et le gouvernement sont allés jusqu’à faire voter un amendement ad hoc pour relever a posteriori la taxe sur la revente des chaînes de la TNT, passée de 5 à 20 %.
Pour le CSA, dans ce contexte, accorder son agrément à la vente aurait été politiquement difficile à défendre. Mais s’y opposer était juridiquement difficile. Le biais de la sanction de retrait de l’autorisation était une autre voix possible, que le CSA a choisi de suivre. Mais ce chemin n’était pas non plus évident au regard de la jurisprudence. Pour abroger le droit d’émettre, il faut une « modification substantielle des conditions qui ont permis l’autorisation de la chaîne ».
Deux fois, le rapporteur du CSA a conclu que ce n’était pas le cas. L’autorité a pourtant sanctionné Numéro 23, en estimant que l’arrivée d’un actionnaire russe en 2013, assorti d’une clause prévoyant une revente de la chaîne en 2015, suffisait à montrer qu’il y avait une volonté de spéculation, donc de fraude. Le Conseil d’Etat n’a pas été convaincu.
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